La Peau du Tambour by Arturo Pérez Reverte

La Peau du Tambour by Arturo Pérez Reverte

Auteur:Arturo Pérez Reverte [Reverte, Arturo Pérez]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2013-04-03T21:38:22+00:00


La lunette de laiton brillait à côté des arcs mudéjars qui s’ouvraient sur les quatre côtés de la tour, au-dessus des toits de Santa Cruz. Au loin, parmi les antennes de télévision et les bandes de pigeons qui volaient en tous sens, on pouvait voir La Giralda, la Torre del Oro et un bout du Guadalquivir que les jacarandas en fleur bordaient de bleu. Le reste du paysage devant lequel avait langui Carlota Bruner un siècle plus tôt était maintenant occupé par des constructions modernes de béton, d’acier et de verre. Aucune voile blanche en vue, aucun bateau porté par le courant, et les quatre pinacles des Archives des Indes faisaient penser à des sentinelles oubliées qui gardaient les papiers, la poussière et les souvenirs d’un temps perdu.

— Quelle vue splendide ! – dit Quart.

Le père Ferro ne répondit pas. Il avait sorti son mouchoir sale de sa poche et frottait le tube de la lunette en soufflant dessus. C’était une lunette azimutale montée sur un trépied de bois, d’un modèle très ancien, longue de près de deux mètres. Le long tube de laiton et ses pièces métalliques soigneusement polies luisaient sous les rayons du soleil qui dérivait lentement sur la rive opposée, au-dessus de Triana. Il n’y avait pas grand-chose d’autre d’intéressant dans le colombier : deux vieux fauteuils de cuir craquelés par l’âge, un bureau pourvu de multiples tiroirs, une lampe, une gravure de Séville au XVIIe siècle sur un mur, quelques livres reliés en cuir : Tolstoï, Dostoïevski, Quevedo, Heine, Galdós, Blasco Ibáñez, Valle-Inclán, des traités de cosmographie, de mécanique céleste et d’astrophysique. Quart s’approcha pour y jeter un coup d’œil : Ptolémée, Porta, Alphonse de Cordoue. Certaines éditions étaient très anciennes.

— Je n’aurais jamais cru… – dit-il –. Je veux dire, vous, tout cela…

Le ton était conciliant, presque chaleureux. En quelques heures, quelque chose avait changé dans la façon dont il voyait le père Ferro. De son côté, le curé frottait la lunette comme si un génie endormi, détenteur de toutes les réponses, sommeillait dans le tube de laiton. Au bout d’un moment, il haussa les épaules sous sa soutane tellement râpée et tachée qu’elle virait presque au gris. Quel curieux contraste, pensa Quart : le petit prêtre malpropre et cet instrument que son mouchoir faisait patiemment reluire comme un sou neuf.

— J’aime observer le ciel la nuit – dit-il enfin –. Madame la duchesse et sa fille me permettent de venir quelques heures tous les jours, après le dîner. Je peux monter directement du patio, sans déranger personne.

Quart effleura le dos d’un livre. Della celeste fisionomía, 1616. À côté se trouvaient des Tabulae Astronomicae dont il n’avait jamais entendu parler de sa vie. Un vieux curé de campagne têtu, avait dit Son Illustrissime Aquilino Corvo. Ce souvenir le fit sourire intérieurement tandis qu’il feuilletait les tables astronomiques.

— Et quand vous êtes-vous découvert cette passion ?

Apparemment satisfait de l’état de la lunette, le père Ferro avait remis son mouchoir dans sa poche. Tourné vers Quart, il le regardait faire avec méfiance.



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